vendredi 16 mai 2025

Le monde est terrible, ces temps-ci

 


Cette impression d’être à part, d’être soudainement isolé et coupé des autres, parce que l’on a choisi de devenir ce que l’on est, que l’on a refusé la facilité des compromis, du reniement de soi pour l’illusoire réconfort que présente l’appartenance aux autres, c’est-à-dire au troupeau où l’on n’a aucune existence propre. 


Le monde est terrible, ces temps-ci. Beaucoup y trouvent juste de quoi survivre et il faudra bien qu'un jour les puissants payent pour ce qu'ils font aux faibles. Une vengeance ? Non, surtout pas de vengeance. Plutôt la joie convalescente d'une vie où plus personne ne sera considéré en fonction de sa place dans la société. Regard devant regard. Parole devant parole. Et c'est tout. Et rien d'autre. Et comme les puissants ne lâcheront jamais rien, il faudra le leur prendre. Leur prendre quoi, leur argent ? Non, l'argent signe leur maladie. L'argent est leur maladie. Il faudra leur arracher ce dont ils sont le plus avares: un regard délivré de tout mépris. Un regard humain, simplement. Ce "simplement" est complexe. C'est à cela que je pense aujourd'hui devant la page où je m'apprête à noter de petites choses - un ciel bleu pâle avec des restes de gris, des arbres roux, des lumières à foison, un léger vent doux. Mais les petites choses ne sont peut-être pas si petites.


 Christian Bobin