La
paresse est une valeur humaine qui est en train de disparaître. C’est fou ce
qu’à notre époque les gens peuvent être actifs. Que quelques amis se réunissent
le dimanche pour un bon déjeuner, à peine la dernière bouchée avalée, il se
trouve toujours quelqu’un pour demander : « alors. ? qu’est ce qu’on fait ? ».
Une espèce d’angoisse bouleverse ses traits, tant est grand son désir de faire
quelque chose ; et il insiste : « qu’est ce qu’on fait ? – mais rien ! », ai-je
toujours envie de répondre… Pour l’amour de dieu, ne faisons rien. Restons un
bon après-midi sans rien fiche du tout, ça ne suffit donc pas d’être avec de
bons amis, de jouer à sentir cet invisible courant qui, dans le silence, règle
les cœurs à la même cadence, de regarder le jour décroître sur les toits, sur
la rivière, ou plus simplement sur le coin du trottoir ? J’exagère sans doute.
C’est que j’aime tant la paresse, mais la vraie paresse, consciente, intégrale,
que je voudrais bien lui trouver toutes les bonnes vertus. Bien sûr, elle est
comme toutes les bonnes choses, comme le vin, comme l’amour ; il faut la
pratiquer avec modération. Mais croyez-moi, la terre ne tournerait pas moins
rond si ses habitants avaient le courage de se forcer chaque semaine à rester
quelques heures bien tranquilles, sans occupation apparente, à guetter les
signaux invisibles et puissants que vous adresse le monde vaste et généreux.
Jean Renoir. (1937)