La Bête de la Godivelle
Dans les
montagnes sauvages du Cézallier, près du petit village isolé de La Godivelle,
on murmure depuis des siècles l'histoire d'une créature redoutable qui hante
les tourbières. Un être mi-homme, mi-loup, dont les yeux rouges transpercent
l'obscurité et dont le souffle rauque se mêle au vent glacial des hauts
plateaux.
Selon la
légende, cette bête serait l'âme tourmentée d'un ancien berger du nom de
Géraud. Homme solitaire et ombrageux, il menait son troupeau à travers les
vastes landes, inévitablement les villageois et préférant la compagnie des
loups. Un jour, il croisa un vieil ermite affamé qui lui demanda un morceau de
pain et un peu de lait. Mais Géraud, avare et dur de cœur, refusa et se moqua
du vieil homme. Ce dernier, qui n'était autre qu'un être aux pouvoirs anciens,
posa sur lui une malédiction terrible : "Toi qui refuse l'hospitalité et
la compassion, tu connaîtras la faim éternelle et erreras jusqu'à la fin des
temps sous une forme qui inspire la même terreur que ton âme."
La nuit
suivante, alors que la lune était pleine et blanche comme un os poli, Géraud
sentit son corps se tourmenter dans une douleur insoutenable. Ses mains
devinrent des griffes, sa peau se découvrit d'une fourrure sombre, et un
hurlement déchirant s'éleva dans la vallée. Dès lors, il a disparu, mais son
ombre reste ancrée dans les tourbières, rôdant sans fin entre les deux lacs de
La Godivelle.
On
raconte que ceux qui s'aventurent trop près des eaux au crépuscule entendent
des grognements sourds résonner dans la brume. Certains bergers affirment avoir
vu deux yeux incandescents briller dans la nuit, et plus d'un voyageur égaré
jure avoir senti une présence invisible, une respiration lourde dans son dos…
Mais lorsque l'on se retourne, il n'y a que le silence et la lande battue par
le vent.
Les
anciens du village disent que seule une âme pure, prête à offrir sans rien
attendre en retour, pourrait briser la malédiction et libérer la Bête. Mais qui
oserait affronter l'ombre de Géraud, dans l'obscurité des marais, sous le
regard froid de la lune ?