jeudi 13 février 2025

Le Chien et l’Homme

 







Le Chien et l’Homme


Il l’avait suivi depuis toujours, depuis qu’il n’était qu’une boule de poils maladroite trottant sur les pavés humides. L’homme l’avait ramassé au bord du chemin, un soir où la faim lui creusait le ventre comme une bête féroce. Ils s’étaient trouvés, deux âmes en errance, et depuis, le chien n’avait plus quitté son ombre.

Il connaissait l’odeur du vieux manteau râpé, la cadence du pas traînant sur les trottoirs de la ville, le bruit sourd de la canne frappant les pavés inégaux. Il connaissait aussi les soirs de misère, lorsque l’homme s’asseyait sur un banc, les yeux vides, un soupir long comme un hiver sans fin. Mais il y avait aussi les jours où une main rude et calleuse venait se poser sur sa tête, une caresse brève, mais suffisante.

Puis un matin, il n’y eut plus de caresse.

L’homme marchait d’un pas plus pressé, plus nerveux. Il ne parlait plus. Il tenait la laisse, mais sans y prêter attention. Et quand ils furent au croisement des rues bruyantes, il s’arrêta brusquement.

Une seconde, une éternité.

La laisse glissa entre ses doigts. Le chien sentit l’absence, un vide cruel dans son cou. Il leva la tête. L’homme ne se retourna pas. Il marcha droit devant, sans plus un regard, disparaissant dans la foule.

Le chien resta là, immobile. Il ne comprenait pas.

Le vent lui mordit la peau, les roues des fiacres éclaboussèrent la boue sur son pelage. Il s’ébroua, fit un pas en avant, hésitant. L’homme reviendrait, forcément. Il ne pouvait pas partir ainsi. Il attendit. Une heure, deux heures. La nuit tomba, glaciale.

Le chien finit par avancer, lentement, traînant son pas comme un condamné. Il retrouva le banc où ils dormaient parfois. Il s’y coucha, le museau posé sur ses pattes tremblantes. Il ferma les yeux.

Demain.

Demain, l’homme reviendrait.

Mais au fond, il savait déjà.


Texte source internet