Le Chien
et l’Homme
Il
l’avait suivi depuis toujours, depuis qu’il n’était qu’une boule de poils
maladroite trottant sur les pavés humides. L’homme l’avait ramassé au bord du
chemin, un soir où la faim lui creusait le ventre comme une bête féroce. Ils
s’étaient trouvés, deux âmes en errance, et depuis, le chien n’avait plus
quitté son ombre.
Il
connaissait l’odeur du vieux manteau râpé, la cadence du pas traînant sur les
trottoirs de la ville, le bruit sourd de la canne frappant les pavés inégaux.
Il connaissait aussi les soirs de misère, lorsque l’homme s’asseyait sur un
banc, les yeux vides, un soupir long comme un hiver sans fin. Mais il y avait
aussi les jours où une main rude et calleuse venait se poser sur sa tête, une
caresse brève, mais suffisante.
Puis un
matin, il n’y eut plus de caresse.
L’homme
marchait d’un pas plus pressé, plus nerveux. Il ne parlait plus. Il tenait la
laisse, mais sans y prêter attention. Et quand ils furent au croisement des
rues bruyantes, il s’arrêta brusquement.
Une
seconde, une éternité.
La laisse
glissa entre ses doigts. Le chien sentit l’absence, un vide cruel dans son cou.
Il leva la tête. L’homme ne se retourna pas. Il marcha droit devant, sans plus
un regard, disparaissant dans la foule.
Le chien
resta là, immobile. Il ne comprenait pas.
Le vent
lui mordit la peau, les roues des fiacres éclaboussèrent la boue sur son
pelage. Il s’ébroua, fit un pas en avant, hésitant. L’homme reviendrait,
forcément. Il ne pouvait pas partir ainsi. Il attendit. Une heure, deux heures.
La nuit tomba, glaciale.
Le chien
finit par avancer, lentement, traînant son pas comme un condamné. Il retrouva
le banc où ils dormaient parfois. Il s’y coucha, le museau posé sur ses pattes
tremblantes. Il ferma les yeux.
Demain.
Demain,
l’homme reviendrait.
Mais au
fond, il savait déjà.
Texte source internet