Toute lecture qui ne bouleverse pas la vie n'est rien, n'a pas eu lieu, n'est pas même du temps perdu, est moins que rien. Toute vie qui n'est pas bouleversée par la vie et qui ne va pas, seule, sans le réconfort d'aucune leçon, trouver son bien dans ce bouleversement est morte. Ce qui est le bien d'une personne c'est à la personne seule d'en décider, en ne s'appuyant que sur la lumière suffisante de sa propre solitude, au plus loin des convenances de pensée ou de morale. L'intelligence cela ne s'apprend pas ~ cela s'exerce. La culture, oui, cela s'apprend ~ ça sort peu à peu de l'entassement des longues études, ça s'ajoute à soi-même avec le temps et c'est aux mains de quelques-uns. Si on ne vit plus que dans la culture on devient très vite analphabète : il y a un temps où, dans les milieux culturels, les œuvres ne sont plus méditées, aimées, mangées, un temps où on ne mange plus que le nom des auteurs, leur nom seul, pour s'en glorifier ou le salir. La culture quand elle est à ce point privée d'intelligence est une maladie de l'accumulation, une chose inconsommable que l'on ne sait plus que consommer.
Christian Bobin